Le krach de 2015 devancera les lois
25.08.2010
Par Myret Zaki, le 25 août 2010
Le système financier
subit un krach tous les cinq ans, si l’on en croit Jamie Dimon, le CEO
de JP Morgan Chase. Suivant cette estimation, le prochain krach est pour
2015, estime Christine Harper, éditorialiste de Bloomberg. Or rien n’est en place pour parer au
choc.
En effet, si le parlement américain a
voté le Dodd-Frank Act, une loi de 2300 pages visant à brimer la
spéculation comme jamais depuis 1929, il ne faut pas s’y tromper: de
nombreux «assouplissements» l’ont déjà vidé de sa substance. S’il se
produit un krach en 2015, les réformes bancaires prévues par cette loi
ne seront même pas entrées en vigueur. La plupart des mesures prévues
par le Congrès américain et les régulateurs globaux comme le Comité de
Bâle ne seront pleinement effectives qu’en… 2018. C’est le cas pour le
«leverage ratio» (mesure essentielle pour contrôler la taille des
bilans). Rien ne se passera avant sept ans, non plus, pour les limites
fixées à l’emprunt de liquidités par les banques, à savoir le levier
qu’elles utilisent pour investir, et qui est à l’origine de la crise de
2008.
Capital gagé sur bénéfices futurs
D’autres aspects de la loi
Dodd-Frank, comme la «Volcker rule» qui interdit le négoce pour compte
propre et oblige les banques à se séparer de leurs hedge funds internes,
pourraient mettre une douzaine d’années avant d’entrer en vigueur. De
toute façon, rien ne se passera avant le début de 2013, selon les dires
du secrétaire au Trésor Timothy Geithner. C’est seulement là que les
banques devront commencer à satisfaire les nouveaux critères minimaux de
fonds propres. Mais elles auront encore «plusieurs années au-delà de
2013» pour créer de nouveaux coussins de capital et correspondre aux
définitions plus strictes de ce qui peut être considéré comme du
capital. A l’heure actuelle, les types d’actifs pouvant être considérés
comme du capital bénéficient d’une certaine largesse de vue auprès des
autorités américaines, sous la bienveillance de Geithner. En effet, les
actifs admis comme fonds propres ne sont pas toujours aussi liquides
(c’est-à-dire faciles à vendre) que le Comité de Bâle l’a souhaité dans
son projet initial. En leur permettant d’élargir la définition d’«actifs
liquides», le Trésor américain veut donner plus de temps aux banques
afin qu’elles engrangent d’abord les profits qu’elles pourront ensuite
utiliser comme fonds propres. En d’autres termes, les banques, qui ont
déjà reçu l’aide massive des Etats et sont toutes bénéficiaires, peuvent
gager leurs fonds propres sur des bénéfices futurs! La culture du
levier semble s’être insinuée jusque dans le monde réglementaire, plongé
dans une forme d’indulgence qui reviendrait à autoriser un conducteur à
mettre la ceinture après avoir fortement augmenté sa vitesse… Dans un
environnement où une banque comme Goldman Sachs tire 70% à 80% de ses
revenus du négoce boursier, les risques sont à découvert pour de
nombreuses années.
La bulle ne survivra pas aux taux
Tout cela est l’effet des pressions
des banques sur le Comité de Bâle et les régulateurs nationaux.
L’Institute of International Finance a publié en juin un rapport
affirmant que les nouvelles règles effaceraient 3,5% du PIB américain,
européen et japonais d’ici à 2015. De sorte que l’extrême lenteur des
lois contraste ridiculement avec la rapidité fulgurante avec laquelle
les banques ont étoffé leurs desks de négoce et réalisé d’énormes
profits en 2009 et au premier semestre 2010. D’ici à 2018, le monde aura
eu le temps de changer plusieurs fois. Plus d’un krach aura le temps de
se produire. La réglementation du marché des dérivés fera-t-elle
exception? Il semble qu’elle puisse intervenir d’ici à deux ans. Cela
reste à voir. Ce marché de 615 000 milliards de dollars représente à lui
seul une source de levier (et donc de risque) monumentale.
En attendant, la spéculation est bel
et bien de retour, avec un boom dans les émissions d’obligations à haut
risque (high yield) et dans les crédits automobiles subprimes. On parle
aussi d’une bulle dans les produits structurés américains (structured
notes), ces dérivés adossés à une obligation (sur dette d’entreprise, du
Trésor, ou sur un dérivé synthétique). Une hausse des taux d’intérêt
américains serait fatale à cette nouvelle bulle obligataire.
Crédit photo:Flusin