Maroc : Le fiasco Mediaco.
En Bourse, il y a les valeurs vedettes, celles qui cotent en passant
inaperçues et celles qui sont en panne. Or, il arrive parfois que
justement, celles qui sont en panne deviennent les véritables stars,
particulièrement quand leurs cours évoluent en contradiction avec les
informations disponibles auprès du marché. Le parfait exemple de ce
phénomène n'est autre que Mediaco Maroc, qui malgré le redressement
judiciaire annoncé par la société, enchaîne ces derniers jours des
réservations à la hausse, provoquant ainsi la curiosité de l'ensemble de
la communauté boursière, du néophyte jusqu'au plus «initié». Plusieurs
zones d'ombre entourent, en effet, le parcours de la société cotée en
Bourse, au point où les petits porteurs appellent à l'intervention
immédiate du CDVM. A défaut de détenir des arguments justifiés ou des
explications claires sur ces contradictions, des analystes contactés
soupçonnent un soutien du cours de la part de «personnes proches de la
société». Pourquoi donc le CDVM n'intervient pas et ne prend pas de
mesures pour stopper le phénomène? Contacté à ce sujet, Hassan
Boulaknadal, directeur général du CDVM, exprime quelques réserves. «Le
CDVM suspend une valeur quand il estime qu'il y a une information devant
être diffusée au public. Dans le cas de Mediaco, l'information du
redressement judiciaire est connue de tous et l'investisseur qui souhaite
acheter ou vendre ce titre le fera en toute connaissance de cause»,
sou¬tient-il. En effet, les opérations sur le titre Mediaco, à défaut de
constituer des manipulations de cours (ce qui reste difficile à prouver)
n'ont rien d'illégal mais faussent les interprétations que des
investisseurs, peu initiés, pourraient faire des hausses successives
observées. Il en faut pourtant plus pour convaincre le marché. «Pourtant
le CDVM avait bien suspendu Ennakl pour laquelle le risque était latent
et ne couvrait pas celui de la disparition totale de la société, comme
c'est le cas de Mediaco», estime un boursicoteur. Un argument que le
gendarme du marché rejette en bloc. Pour lui, la situation de Mediaco ne
peut être comparée à celle d'Ennakl. Pour celle-ci, il y a avait en effet
Un flou qui concernait une partie importante de son actionnariat et c'est
la raison qui explique la suspension préventive. Le cas de Mediaco est
différent, dans le sens où le dossier est désormais devant le juge. «La
procédure risque de durer un moment encore et tant qu'aucune information
n'est annoncée par le juge, il n’y a pas lieu de suspendre la valeur»,
ajoute Boulaknadal.
Quoi qu'il en soit, le cas de la suspension n'est pas le seul qui fait
jaser les investisseurs. En effet, depuis son introduction en Bourse en
2006, la société fait couler beaucoup d'encre, au point où certains
critiquent aujourd'hui même le visa de la note d'information relative à
l'IPO. Il faut savoir qu'à l'époque, les commissaires aux comptes
relevaient déjà des anomalies au niveau des comptes servant de base à
l'évaluation de la société. Sans exception, toutes les certifications des
trois exercices précédant l'introduction avaient fait l'objet d'une
réserve. D'abord, pour l'exercice 2003, «l'examen des comptes clients au
31 Décembre 2003 révèle l'existence de créances anciennes non
provisionnées enfin d'exercice et qui pourraient s'avérer douteuses,
alors que la provision pour créances douteuses est inchangée depuis 2001»
avaient mentionné les commissaires aux comptes. Le montant de ces
créances non provisionnée était de 4,7 MDH. La société est parvenue à
récupérer I,O? MDH seulement lors de l'exercice suivant. Le reste n'a été
provisionné qu'en 2004. Cela n'a pas empêché les commissaires aux comptes
d'intégrer de nouvelles remarques sur ce même exercice. Cette fois-ci, ce
sont des anomalies au niveau de la caisse qui ont été
relevées. «L'analyse des mouvements de caisse à fin décembre 2004 fait
ressortir un solde très important (plus d'un million de dirhams) composé
essentiellement de bons de sorties en instance et sans pièces
justificatives», souligne-t-on dans le rapport. Ceci a été expliqué par
le fait que la société octroyait des avances sur les déplacements et
logements de son personnel, alors que les justificatifs étaient présentés
ultérieurement. Cependant, le montant élevé de ces avances suscite la
curiosité. En 2005, ce sont une nouvelle fois des créances douteuses,
antérieures à l'exercice 2004 et non provisionnées qui, sont signalées
par les commissaires aux comptes. Le montant global de ces créances
dépasse 5,3 MDH, alors que seule une provision de 600.000DH apparaissait
dans les comptes de la société. C'est dire que les indicateurs financiers
ayant servi à la valorisation de la société sont entachés de remarques
qui interpellent. Ceci est d'autant plus problématique que, jusqu'à fin
2009, des réserves similaires avaient été soulevées par les
certificateurs des comptes, à l'image de ceux de 2009, qui comportent des
créances non provisionnées frôlant les IOO MDH. L'autre élément décrié
est celui relatif à certaines opérations réalisées juste avant
l'introduction et qui, semble-t-il, n'ont pas été prises en compte dans
la valorisation de la société. Cette dernière, étant basée sur les états
financiers arrêtés à fin 2005, ne considère pas la cession par Mediaco
Maroc de sa filiale détentrice du terrain sur lequel est sis le siège à
sa maison mère, Afrique Levage. Autant d'éléments qui laissent perplexe
et qui sèment le doute dans l'esprit du marché quant aux perspectives de
Mediaco Maroc. Le débat est ainsi relancé sur la pertinence de
l'information financière communiquée par les émetteurs et le degré de
contrôle que doit déployer le gendarme de la bourse face à la veille des
IPO. Une chose est sûre, le cas Mediaco marquera à jamais l'histoire de
la Bourse de Casablanca.
(Source : Les Echos)