Raffineries françaises: pourquoi elles ferment
La France a perdu 12 raffineries en 40 ans
L'avenir des raffineries Françaises semble s'assombrir d'année en année.
On en comptait 23 à la fin des années 70, il n'en reste plus que 11
encore en activité aujourd'hui. Et la fermeture du site de Berre
pourrait en ajouter une à cette triste liste. Les raffineries "sont en
surcapacité de production, et n'ont pas de débouchés suffisants" en
raison d'une "demande très peu soutenue", explique Jean-Louis Schilansky
président de l'Union française des industries pétrolières (Ufip). Elle
seront même en "perte d'exploitation de plusieurs centaines de millions
d'euros" en 2011, dans une tendance "voisine" de 2009, quand elles
avaient perdu 1 milliard d'euros" a-t-il ajouté. Selon Les Echos, les
marges de raffinages, qui représentent la différence entre le prix des
produits raffinés et leurs coûts de production, ont baissé de 60% entre
2008 et 2009. Et elles sont aujourd'hui à un "niveau de crise".
Les
raffineries françaises ont en effet produit, en 2010, près de 82
millions de tonnes de produits pétroliers de type essence, gazole ou
fioul. Mais la demande reste bien inférieure à cette capacité. La
consommation en France en 2010 a atteint 33,6 millions de tonnes de
gazole et 8,2 millions de tonnes d'essence. "Depuis 2007, on constate
une baisse de la consommation en Europe liée aux économies d'énergie, et
le phénomène est accentué par les crises économiques", souligne
Constancio Silva, économiste à l'Institut français du pétrole-Energies
nouvelles.
"Des cessions ou des fermetures de sites inévitables"Selon
lui, les raffineurs n'ont pas su s'adapter aux changements de la
demande. Ils ont souffert de la montée en puissance du parc nucléaire
français. Celle-ci a en effet entraîné une baisse de la demande de fioul
lourd, qui servait jusqu'alors à faire fonctionner les centrales
électriques.
De plus, les raffineurs ont investi, dans les années 70 et 80, dans
des unités de production d'essence, qui était alors le carburant le plus
consommé en France. Mais ils ont été surpris par l'explosion de la
demande de gazole, accentuée par une fiscalité avantageuse et la moindre
consommation des moteurs diesel. La vente de gazole représente
actuellement 75% des ventes de carburant en France.
Les automobilistes en consomment 33 millions de tonnes, mais la capacité de production française ne s'élève qu'à 20 millions.
Les raffineries hexagonales se retrouvent donc actuellement obligées
d'exporter 30% de sa production d'essence, notamment aux Etats-Unis où,
là aussi, la demande a ralenti. Selon le comité professionnel du
pétrole, les ventes d'essence à l'étranger ont en effet chuté de 20%. Et
paréllèlement, les groupes pétroliers sont contraints d'acheter du
gazole à l'étranger, ce qui accentue leurs dépenses.
Dans ce
contexte, "à terme, des cessions ou fermetures de sites seront
inévitables", assure l'Ufip. Un pessimisme que refuse d'admettre les
syndicats. En réaction à la fermeture du site de Berre, les fédérations
CFDT et CGT de la branche chimie-pétrole ont hurlé "halte à
l'hécatombe". "Cette annonce est inacceptable. Car elle n'est pas liée
uniquement aux problèmes des faibles marges du raffinage et de
l'inadéquation de l'outil de production par rapport au marché, à
l'excédent d'essence et au déficit de gazole" ont-ils dénoncé.
Selon
eux, les fermetures de raffineries répondent à une logique boursière et
à un défaut d'investissement. La Fnic-CGT réclame "un plan pluriannuel
d'investissement" sur la base du rapport de l'Institut français de
pétrole présenté le 22 juin qui, moyennant des investissements,
présentait des pistes de développement pour les raffineries françaises.
Un argument que partage Thomas Porcher,
docteur en économie auteur du livre "Un baril de pétrole contre 100
mensonges." Selon lui, le manque d'investissement pour changer la
structure de production des raffineries françaises explique leur défaut
de rentabilité. "Malgré les bénéfices record tirés par l'effet-prix du à
la hausse des cours du brut, ces investissements ont été évincés au
profit d'une préférence pour des investissements dans les raffineries
proches des zones d'extraction. C'est le cas de Total en Arabie Saoudite
avec la raffinerie de Jubail par exemple. Elle permet de produire à
coût faible, en raison de la proximité avec les gisements. Mais elle est
surtout dotée d'un système productif moderne permettant d'adapter le
ratio gazole/essence souhaité. Le problème du raffinage français
pourrait donc plus s'apparenter " à un chômage technique du secteur "
dont les moyens de production sont devenus inadaptés qu'à un réel
problème de compétitivité. Bien que le premier engendre le deuxième"
affirme-t-il.