Papier et carton : Les fabricants menacés dans leur cœur de métier
05-10-2006
* Un décret sur l'accélération du démantèlement tarifaire pour le secteur papier et carton signé par le ministre de l'Industrie soulève l’ire des opérateurs .
* Les marges étant faibles, le secteur dit n'être pas en mesure de supporter et le démantèlement et l'accélération du démantèlement.
* Cette industrie, non concertée à propos de ce décret, est tout simplement menacée de disparition.
Rien ne va plus pour les fabricants de papier au Maroc. La nouvelle d'un décret ministériel, signé par Salaheddine Mezouar, et non encore visé par le Premier ministre concernant l'accélération du démantèlement tarifaire pour le secteur papier et carton, a eu l'effet d'un coup de tonnerre sur le secteur et pour cause.
«L'Association des fabricants de papier au Maroc est la première concernée mais pas la seule», explique Aziz Kadiri, le Président de la Fédération des industries forestières, des arts graphiques et de l'emballage, témoignant de la solidarité de la profession avec cette association. « La CGEM et son président soutiennent notre inquiétude et notre désir de voir ce décret non appliqué », ajoute-t-il
Cela fait quelques années que le ministère du Commerce et de l'Industrie veut accélérer le démantèlement tarifaire, mais ce n'est qu'incidemment que pour le secteur d'activité concerné qu'un décret a été signé à l'insu de la profession par Salaheddine Mezouar, par le ministère des Finances et par le ministère du Commerce extérieur tout récemment. Le dernier à signer sera le Premier ministre. Alors avant que ce décret ne passe, la profession, prise au dépourvu, s'est mobilisée.
Ce décret impacterait, selon les professionnels, trois familles qu'on appelle les intrants et qui sont la pâte fibre courte produite par Cellulose du Maroc, les papiers et puis les produits transformés à base de papier que sont les cartons ondulés, ainsi que les autres produits d'imprimerie dont le droit commun passerait de de douane passeraient de 50 % à 25 % et de 30 % à 15 % pour l’UE, principal concurrent.
Des arguments peu convaincants aux yeux des fabricants
«Le ministère de l'Industrie avance que cette accélération de démantèlement va toucher l'ensemble des secteurs. Il a justifié cette baisse accélérée pour contrecarrer la contrebande. Alors nous, nous disons qu'il n'y a pas de contrebande en ce qui concerne le papier, c'est le cas pour d'autres produits mais pas pour le papier », souligne pour sa part Hicham Kadiri, le Directeur général du CMCP.
Par le passé, plusieurs réunions se sont tenues pour voir comment améliorer le secteur en général puisque les producteurs nationaux subissaient lourdement l'importation frauduleuse et la concurrence déloyale. « Pour parer cet état de fait, nous avons proposé au ministère, à l'époque, de mettre en place un centre technique papetier pour aider la Douane à mieux contrôler, comme font beaucoup de pays. C'est cette voie qui peut neutraliser la concurrence déloyale», poursuit H. Kadiri.
La Fédération a même proposé de prendre à sa charge les frais de contrôle de tous les papiers qui entrent sur le marché et en cas de contestation, elle propose de refaire le contrôle dans un laboratoire étranger certifié. Mais ses propositions ont été rejetées, qualifiées de très compliquées.
Même son de cloche du côté de Youssef Fassi Fihri, Directeur général de Papelera de Tetuan. « Quand on parle de contrebande, on ne règle pas le problème à la source. On veut régler le problème de façon immédiate à la dernière minute et de manière bâclée », clame-t-il.
La Fédération serre les rangs
La Fédération regroupant et les importateurs et les fabricants, il est évident que les intérêts ne sont pas les mêmes. « C'est clair ! En tant que président, j'essaye de voir quels sont les intérêts et de raisonner globalement. Si je vois qu'un pan entier de la fédération va disparaître, je me pose la question et je ne vois pas directement les avantages que vont tirer nos amis imprimeurs. Ils vont bénéficier d'une baisse certes, mais qu'ils vont rapidement répercuter sur leurs clients sachant que ces imprimeurs aujourd'hui sont en très forte concurrence avec des marges très faibles », assure Aziz Kadiri.
L'AFPAP pour sa part s’affaire pour essayer de trouver une issue favorable à ce problème. Ce qui est important, aux yeux de Mounir El Bari, son président, est l'amont du secteur, c'est-à-dire le vieux papier. « Ce sont des milliers et des milliers de personnes qui vivent de la collecte du vieux papier dans tout le pays. Et toutes les papeteries sont installées dans des provinces et des régions comme Tétouan, Tanger, Kénitra, Meknès, El Jadida… Elles font vivre beaucoup de familles. En terme d'emplois directs, il s'agit de 1.600 postes mis en péril, mais en terme d'emplois indirects les pertes se chiffreraient à des milliers», explique-t-il. Il déplore par ailleurs que le ministère ait pris cette décision sans concertation avec la profession ni même l'aviser.
«Cette accélération met en péril la masse importante de récupérateurs de vieux papiers estimée à 90.000 personnes», explique Aziz Kadiri. Le secteur avait réalisé 2,4 Mds de Dh de chiffre d’affaires en 2005.
Un pan d'activité en péril
Mouhsine Sefrioui, le Directeur Général de Safripac n'en revient pas de ce retournement de position. Il se rappelle d'ailleurs que lors des discussions de concertation autour du démantèlement, le ministère prévoyait de faire bénéficier ce secteur d'un certain nombre d'avantages pour pouvoir compenser la baisse progressive des droits de douane. «Parmi ces avantages, le ministre a parlé de l'énergie qui entre à peu près de 20 % dans notre prix de revient. À l'époque, il nous a parlé d'une subvention ou d'une convention qui allait arriver. Alors, non seulement le prix de l'énergie a augmenté, mais avec cette accélération qu'implique ce décret, notre matière première étant les vieux papiers collectés localement, je ne vois pas comment cette baisse subite serait compensée», affirme-t-il.
Cette accélération subite met la profession au pied du mur. Le dégressif est de 5 % chaque année, avec la baisse accélérée impliquée par ce décret, le secteur doit faire face à une baisse de 15 % d'un seul coup des prix de vente alors que la marge ne dépasse pas 5% pour tout le secteur. Pour mieux illustrer la situation, Youssef Fassi Fihri nous parle du cas de Papelera de Tetuan, une entreprise qui était quasiment en liquidation.
En 2004, un plan de structuration a été établi pour pouvoir remettre à niveau la société en tenant compte d'un business plan et de paramètres, notamment de droits de douane dégressifs et non accélérés. «Comment, aujourd'hui, donner des informations à un actionnaire et lui dire qu'il y a eu un événement soudain d'un gouvernement qui décide de façon unilatérale de changer un paramètre qui paraît relativement assez important, et que l'entreprise va fermer dans les conditions proposées par le gouvernement. Cet actionnaire a investi 112 millions de DH, les investissements qui étaient prévus vont probablement être remis en cause, tout le secteur sera remis en cause. Alors, tous les efforts précédents auront été vains », conclut-il.
Si le décret est signé par le Premier ministre, aucun recours n'est plus possible. Alors la Fédération fera de son mieux pour sensibiliser le ministre au préjudice que causerait ce décret. Elle déploie ses efforts pour rencontrer le Premier ministre et lui exposer son problème.
05-10-2006