La Bourse de Casablanca a besoin de 2 milliards de dollars par an
Entretien avec Karim Hajji, DG de la BVC Cela représente la demande des investisseurs en papier frais
Prêt emprunt de titres, vente à découvert… les pistes pour améliorer la liquidité
Le patron de la BVC appelle à privilégier les privatisations via le marché
Pour Karim Hajji, «à la Bourse, aujourd’hui, seules les anticipations à
la hausse peuvent s’exprimer. Notre marché a du mal à gérer les
baisses»
Chute des indices (près de 10%), effondrement de la capitalisation
(plusieurs milliards de DH), perte de confiance des investisseurs (très
faibles volumes de transaction)… C’est dans ce contexte difficile que la
Bourse de Casablanca évolue depuis le début de l’année. Le problème que
la communauté financière pointe du doigt c’est d’abord celui du déficit
de liquidité du marché. Parmi les pistes de relance évoquées:
privatisations, prêts emprunts de titres, ventes à découvert… Karim
Hajji, patron de la Bourse, donne son analyse. - L’Economiste: La Bourse de Casablanca souffre d’un manque de dynamisme. Qu’est-ce qui ne va pas, selon vous? - Karim Hajji: Notre marché a du mal à gérer les
baisses. Lorsqu’il y a un fort engouement pour la Bourse, chose qui dure
quelques mois, on assiste généralement à une flambée des cours. Et
aujourd’hui encore, nous ne disposons malheureusement pas de mécanismes
pour corriger d’éventuels excès de valorisation. A mon sens, la vente à
découvert, grâce au prêt emprunt de titres, pourrait pallier cette
situation.
Aujourd’hui, à la Bourse, seules les anticipations à la hausse peuvent s’exprimer.
- Justement les ventes à découvert sont fortement décriées au niveau international. Qu’en dites-vous? - Effectivement, la vente à découvert «nue» est hautement spéculative
et dangereuse car elle n’impose pas de disposer de titres pour pouvoir
les vendre.
Mais il y a deux manières de faire de la vente à découvert. Celle que
nous recommandons est «couverte» par l’emprunt de titres. Cela se passe
concrètement de la manière suivante: je suis opérateur, je considère
qu’une valeur est surévaluée, j’emprunte des titres de cette valeur, je
les cède sur le marché au comptant pour les racheter plus tard et les
restituer.
La mise en place de cette technique permettra d’introduire les futurs
et autres dérivés sur le marché. Sans cela, le marché à terme ne peut
être lancé. Et qui dit marché à terme dit forcément expression
d’anticipations à la hausse comme à la baisse. Il ne peut se faire dans
un sens unique. Et même, pour qu’il soit efficace, il faut que celui qui
vous vend une option d’acheter à terme puisse se couvrir.
Enfin, le marché à terme est l’un des principaux éléments qui sont pris
en compte par MSCI pour la composition de leur indice relatif aux pays
émergents. En l’intégrant, la place casablancaise gagnera énormément en
visibilité à l’international.
- Où en est-on donc de l’application de la réglementation les régissant. Cela fait plus de 5 ans qu’on en parle… - La Bourse de Casablanca tient des réunions régulières avec les
membres de la commission des Finances des deux chambres du Parlement. A
ce titre, le texte de loi relatif à la mise en place des prêts emprunts
de titres a été voté par la première chambre et nous espérons qu’il le
sera bientôt par la seconde chambre. Un travail pour en arrêter les
modalités est actuellement effectué par le CDVM et Maroclear.
Il faut savoir, toutefois, que la promulgation de ces textes n’est pas
une fin en soi puisqu’il faudrait pallier le manque de liquidité de la
Bourse de Casablanca. Il serait illusoire de penser que nous pouvons
mettre en place un marché à terme sans améliorer la liquidité de la
place. C’est, d’ailleurs, l’un des principaux obstacles qui découragent
les investisseurs étrangers à investir sur le marché marocain. Lorsqu’un
investisseur étranger veut investir 10 ou 15 millions de dollars sur le
marché marocain il lui faut une semaine, voire plus, pour pouvoir
placer son argent. Ce qui est inconcevable car il doit pouvoir «rentrer
et sortir rapidement». Et même s’il arrive à investir son argent et
qu’il veut se retirer, c’est un exercice parfois périlleux, sachant que
s’il le fait trop rapidement, il peut faire chuter les cours. Il faut
donc un marché liquide et profond. Et c’est justement cela, l’objet de
toute notre attention actuellement.
- Que proposez-vous, d’ailleurs, de faire sur ce point? - Justement, nous avons commandité à un cabinet international une étude
dont ressortent plusieurs recommandations. Cette étude nous permet de
connaître notre positionnement par rapport à des Bourses comparables,
l’Egypte, la Turquie… Même si cette dernière est beaucoup plus avancée :
c’est un marché qui est très liquide, où il y a un marché à terme, une
forte capitalisation boursière et un nombre important d’investisseurs.
Donc la Bourse de Casablanca a beaucoup de défis dont le premier est
incontestablement la liquidité.
A ce propos, plusieurs pistes pour améliorer la liquidité sont
proposées, notamment avoir un minimum de 20 à 25% du flottant des
sociétés lors des introductions, sauf pour les très grosses
capitalisations.
La seconde piste, et certainement la plus importante, est d’encourager
les pouvoirs publics à envisager les privatisations via la Bourse,
plutôt que par cession à un investisseur stratégique.
A titre d’exemple, dans les Bourses matures, 75% du contrôle des
valeurs sont flottants, la notion qu’un partenaire stratégique détienne
51% n’existe quasiment pas. Au niveau d’Euronext par exemple, je ne
pense pas qu’il y ait un actionnaire stratégique qui détienne plus de
15% du capital d’une valeur du CAC 40. Au Maroc, nous ne sommes pas dans
la même logique. Or, la privatisation est un puissant moyen pour
développer le marché des capitaux. Il n’y a pas de raison de n’envisager
la privatisation qu’à travers un investisseur stratégique. Si on
souhaite faire de la place casablancaise une place financière
internationale qui attire les fonds d’investissement étrangers, il faut
absolument mettre à leur disposition du papier frais de qualité. Je fais
allusion aux grandes entreprises telles que l’OCP, Marsa Maroc, et
autres.
De plus, la privatisation est un excellent moyen pour développer l’actionnariat populaire.
- Les ETF, les prêts emprunts de titres… sont-ils également des pistes envisageables? - Les exchanged traded funds sont également un important vecteur d’amélioration de la liquidité du marché.
Au même titre que les ETF, le prêt emprunt de titres permet de rendre
liquides les actions qui ne le sont pas. En effet, les titres qui sont
détenus par des institutionnels qui disposent d’une position stratégique
dans une société et dont ils ne veulent pas se défaire, peuvent être
prêtés sur le marché. L’emprunteur peut les vendre pour les racheter
plus tard. Par ce biais, il crée de la liquidité. Le prêt emprunt de
titres est également un excellent moyen de réguler les prix sur notre
place.
- Serait-il possible, dans ces conditions, de changer les mentalités des patrons au Maroc? - Je pense que cela peut changer. Ne vaudrait-il pas mieux avoir une
petite part d’un très gros gâteau qu’une grande part d’un tout petit
gâteau? Prenons pour exemple les banques marocaines qui sont obligées de
renforcer leurs fonds propres. S’il n’y avait pas le marché, elles
n’auraient pas été en mesure de le faire. Je crois donc que le
capitalisme marocain pourra évoluer pour faire appel au marché pour
lever ou renforcer ses fonds. Les Turcs y sont déjà, en dépit de leur
conservatisme.
- Dans un marché baissier, il semble que le besoin de papier frais se fait pressant… - Tout à fait, l’étude que nous avons commanditée démontre qu’il y a un
besoin très important de papier de la part des institutionnels
marocains. Un besoin qui est évalué à 2 milliards de dollars par an.
Chose qui fait défaut actuellement à la Bourse de Casablanca.
Les paris de l’Afrique anglophone
Pour Hajji, «les entreprises marocaines sont encore un peu timides,
elles ne sont pas assez conquérantes à l’étranger». Certes, il y a les
banques qui ont résolument décidées d’envahir le marché africain
particulièrement l’Afrique subsaharienne. Toutefois, le DG de la Bourse
voudrait les voir plus agressives sur les pays d’Afrique anglophone. Le
potentiel de ces Etats serait plus important que celui des pays
subsahariens.
«OCP serait une excellente introduction»
«L’introduction d’OCP en Bourse par augmentation de capital pourrait
être envisagée», soutient Hajji. Pour le DG de la Bourse, la stratégie
de développement de l’Office pourrait conduire l’Etat à le privatiser
non pas par cession au marché mais par augmentation de capital. «Cela en
fera une excellente introduction qui pourrait attirer les investisseurs
à la fois marocains et étrangers». L’opération serait, de l’avis de
Hajji, gagnante pour toutes les parties, l’Etat, l’OCP et pour le marché
des capitaux en général et pour Casablanca Finance City en particulier.
Mieux, l’introduction de l’OCP placera définitivement la Bourse de
Casablanca à la seconde place au niveau continental après l’Afrique du
Sud.
Introductions en Bourse: Peu de visibilité
Le management de la Bourse ne dispose pas de visibilité sur les
introductions à venir. «Compte tenu du contexte électoral qui se
profile, il y a de toute évidence un attentisme de la part de tous les
opérateurs», souligne Hajji. «A ce titre, les dossiers qui étaient
déposés au sein des banques d’affaires ont tous été gelés», ajoute-t-il.
Mais ce n’est pas pour autant que la Bourse de Casablanca baisse les
bras. Elle dispose en son sein d’un département développement qui
démarche les sociétés pour les convaincre d’entrer sur le marché.
Propos recueillis par Moulay Ahmed BELGHITI
Source : L'économiste