L'interview Carrière
Le 21/10/2009 06:00
"Les traders ne sont pas à l’origine de la faillite du système, même
s'ils ont clairement contribué à la formation d’une bulle" $('gnewsv').style.display='none';
DR
Thami Kabbaj, professeur de finance à Dauphine et ancien
trader, nous explique pourquoi les bonus des traders battent à nouveau
des records. Et pourquoi ce n’est pas près de s’arrêter…Capital.fr : Selon le Wall Street Journal, les 23 plus grandes
institutions financières américaines s'apprêtent à distribuer 140
milliards de dollars de rémunération à leurs salariés (contre 117
milliards en 2008). Comment expliquer ces montants colossaux ? Thami Kabbaj :Tout simplement par les restructurations qui ont eu lieu
(licenciements, baisse des charges salariales), combinées à la forte
hausse des indices boursiers. Certaines banques, dont Goldman Sachs,
ont réalisé des gains très importants, notamment en raison de la
disparition d’un des principaux concurrents : Lehman Brothers.
Capital.fr : Les règles adoptées par le G20 à Pittsburgh en
septembre - étalement des bonus dans le temps, versement en partie en
actions, malus en cas de contreperformance - auront-elles un effet sur
les pratiques des banques en matière de rémunération ?Thami Kabbaj :Ces règles ne sont pas vraiment contraignantes. Il s’agit d’un sujet
sensible où les pressions sont fortes sur les gouvernements. Sans
réelle coordination au niveau mondial, les choses risquent de ne pas
évoluer. Néanmoins, il convient de rappeler que les marchés modernes
doivent tout à une école de pensée très influente qui a donné de
nombreux prix Nobel : la théorie de l’efficience des marchés. Selon
cette école, les marchés reflètent à tout moment l’économie réelle. La
dimension humaine est totalement occultée. Or, si le marché a des
vertus, il a aussi des limites et le dogme du court-termisme a des
effets pervers. C’est en introduisant cette dimension humaine dans les
outils d’incitation et d’orientation des dirigeants et des financiers
que l’on pourra prévenir certaines catastrophes financières… La
proposition française allait dans ce sens en proposant de lisser le
versement des bonus et en introduisant un malus. Mais cette idée
devrait être étendue aux dirigeants d’entreprise : stock options,
parachutes dorés….
Capital.fr : La rémunération des traders est-elle justifiée, d’un point de vue économique ?Thami Kabbaj :Les services financiers rapportent énormément d’argent aux banques, qui
se livrent une compétition à l’échelle internationale pour attirer les
meilleurs cerveaux. Sans compter que les traders peuvent aussi créer
leurs propres fonds. Certes, les niveaux de rémunération des traders
sont totalement déconnectés de ceux des autres salariés. Mais ce n’est
que le fruit du jeu de l’offre et de la demande. Nous sommes dans un
système de vedettes, où quelques personnes réputées peuvent attirer
beaucoup de capitaux de la part des clients, sur leur seul nom.
Capital.fr : Les traders sont-ils utiles à l’économie ?Thami Kabbaj :Oui. Les traders ont d’abord pour fonction d’apporter de la liquidité
aux marchés, ce qui est extrêmement important. Prenons l’exemple de la
dette. La plupart des pays occidentaux sont très endettés sur les
marchés financiers. Pour être attractive, cette dette doit être
liquide. Les traders y contribuent. Ils ont aussi un rôle de
couverture. Les traders permettent aux entreprises clientes de se
protéger contre les variations de cours des matières premières ou des
monnaies, en leur garantissant par exemple un taux dollar/euro
déterminé à l’avance.
Capital.fr : Quelle est la responsabilité des traders dans la crise actuelle ?Thami Kabbaj : On
a accusé les traders d’être à l’origine de la faillite du système :
c’est loin d’être le cas. La crise s’explique plutôt par le fait que
l’épargne du monde entier a été investie aux Etats-Unis - le marché le
plus liquide du monde – et que l’on s’est mis à prêter de l’argent à
des gens qui n’étaient pas solvables. Les traders ont toutefois
clairement contribué à la formation d’une bulle.
Propos recueillis par Stéphane Loignon
Capital.fr