Rachat intégral de Méditel, une opération spéculative ? Publie le:07/09/09
L’opérateur est en panne de croissance mais présente un réel
potentiel de développement. Il a besoin d’une réorientation stratégique.
En dépit de la difficulté BMCE Bank et CDG ont relevé le challenge mais ont-ils l’expertise nécessaire.
L’adossement à un opérateur télécoms mondial est le scénario le plus indiqué. Y aura-t-il revente ?
[Rachat intégral de Méditel, une opération spéculative ?] Le secteur
des télécoms sera incontestablement celui qui aura le plus impacté
l’investissement direct étranger (IDE) au Maroc en 2009. En effet,
après les 2,85 milliards de DH drainés en février par l’ouverture du
capital de Wana Corporate réservée à deux actionnaires du Moyen-Orient
(Al Ajial et Zaïn), le stock des IDE enregistre à nouveau un mouvement
conséquent (en reflux cette fois-ci) qui s’élève à près de 9 milliards
de DH (810 millions d’euros plus précisément). Il s’agit du montant qui
sera récupéré par les opérateurs ibériques Telefonica et Portugal
Telecom suite à leur désengagement du capital de Méditel après en avoir
été, durant près de 10 ans, les actionnaires industriels qui en
contrôlaient, à parité, un bloc de contrôle de 64,4%.
Avec quels moyens l’opération sera-t-elle financée ?
Le dénouement qui a eu lieu finalement le soir du 31 août vient, ainsi,
lever le suspens, après plusieurs mois de tractations, sur la
recomposition de l’actionnariat du deuxième opérateur télécoms
marocain. Il met également fin à plusieurs rumeurs ayant alimenté le
microcosme économique du pays depuis qu’en avril 2009 Portugal Telecom
s’est adjoint les services de la banque d’affaires américaine Morgan
Stanley pour le conseiller dans la cession de sa participation de 32,2%.
Les autres protagonistes, à savoir les acquéreurs de ce méga-deal qui
restera dans les annales économiques du pays (troisième transaction sur
capital tous secteurs confondus après celles de la cession en deux
temps de 51% de Maroc Telecom à Vivendi), ne sont autres que la CDG et
Financecom, respectivement premier groupe public et deuxième groupe
privé marocains. Les deux partenaires et actionnaires minoritaires de
la première heure de Méditel (18% chacun) en partagent désormais le
capital. Un geste à saluer et qui prouve que de grands groupes
nationaux n’ont rien à envier à leur homologues étrangers en matière de
capacité d’investissement.
Mathématiquement, la répartition est plus en faveur du groupe
Benjelloun qui, à travers RMA Al Watanya (13,06%) et Financecom (5% +
les 32,18% nouvellement acquis), détient 50,24% des actions alors que
le groupe CDG via Holdco (17,58%) et Fipar (32,18% nouvellement acquis)
détient le reste, soit 49,76%, mais selon des sources bien informées,
la répartition des voix au sein du conseil d’administration sera faite
de manière paritaire. Il s’agira en sorte d’une cogestion, à l’image du
schéma antécédent mis en place par Telefonica et Portugal Telecom.
Maintenant que le deal est effectif et que Méditel est devenue une
société au capital à 100% marocain, il est de bon ton de s’interroger
sur les motivations des acquéreurs qui ont fait valoir leur droit de
préemption face à des prétendants internationaux, les raisons réelles
du désengagement des deux opérateurs ibériques, les dessous d’une
valorisation diversement appréciée, les modalités de financement d’une
telle prise de contrôle, les interactions stratégiques de l’opération
avec les autres activités des acquéreurs et surtout l’avenir de
l’opérateur. Certes, la conférence de presse du 1er septembre courant
tenue dans les locaux de BMCE Bank a apporté quelques éléments de
réponses mais certains points cruciaux sont restés sous la pénombre du
discours officiel.
Aussi, en fut-il de la question du financement. Même si elle a été
posée explicitement, aucune précision n’a été apportée quant au montage
retenu. Y a-t-il eu un effet de levier pour minimiser l’apport en fonds
propres ? Dans un contexte où les deux groupes ont, d’une part, accusé
un recul de leur profitabilité (résultats nets sociaux 2008), notamment
pour la CDG, et, d’autre part, du différé à d’autres horizons boursiers
des IPO (introduction en Bourse) qui auraient pu générer des
extractions de cash importantes telles RMA Watanya et Finatech du côté
de Financecom et Société Immobilière de la Mer (structure porteuse des
actifs marocains gérés par Club Med) du côté de la CDG, cela est assez
vraisemblable. Une des parties aurait même eu recours à un financement
en devises selon des sources bien avisées. Voilà en tout cas ce qui
pourrait neutraliser partiellement, au niveau de la position extérieure
du Maroc, l’impact de la sortie substantielle de devises alors que le
déficit extérieur ne cesse de se creuser.
Les marges sont encore faibles et des segments restent non exploités
Par ailleurs, si le discours officiel à Casablanca a mis l’accent sur
la volonté des cédants de se recentrer sur des zones géographiques plus
stratégiques (notamment l’Amérique latine), le communiqué quasi
simultané de Telefonica précise laconiquement que «le temps était
approprié de cristalliser la valeur créée après dix ans de présence au
Maroc». Sachant que les niveaux de valorisation du secteur télécoms
sont loin de ses cimes de 2007 et début 2008, une telle dissonance sème
le doute. L’actionnaire espagnol, certes confronté depuis le
déclenchement de la crise internationale à des problèmes intrinsèques
de liquidités, a-t-il précipité sa décision en raison d’une
appréciation négative du potentiel de croissance de son ex-filiale
marocaine ?
La question mérite d’être posée et le risque pris par les nouveaux
maîtres des lieux est d’autant plus méritoire que Méditel perd du
terrain. Prise en tenaille entre le tassement de la croissance du
mobile, qui fut longtemps son atout principal, et l’agressivité de Wana
sur l’internet (qui en est devenu rapidement premier challenger de IAM
avec 31,35% de parts de marché), la filiale du duo CDG/Financecom est
en situation difficile d’autant plus que Wana arrive dès février 2010
sur le terrain du mobile 2G et que sur le segment des entreprises (où
les marges sont les plus élevées), la percée est loin d’être visible. A
cela s’ajoute le virage raté, la quasi-absence de l’opérateur sur un
marché du fixe, qui redevient attractif, dopé par le lancement d’offres
couplées internet/voix/TV et l’arrivée de la téléphonie prépayé (voir
page 12). En témoigne la part prise, en quelques mois seulement, par
Wana qui s’adjuge aujourd’hui 60% des clients. Il n’est donc pas
étonnant que la profitabilité de Méditel ne la hisse pas encore au
niveau des opérateurs les plus rentables comme en témoigne une marge
nette 2008 d’à peine 8,8% (contre 32,2% pour IAM par exemple) et un
revenu moyen mensuel par client (ARPU) qui avait déjà baissé de 14%
entre 2007 et 2008 pour descendre à 60 DH, puis à 50 DH à l’issue du
premier semestre 2009.
En clair, Méditel a grandement besoin de relais de croissance qui ne
peuvent jouer que grâce à une réorientation stratégique. Particularité,
l’entreprise avec cette nouvelle configuration de capital n’est
aujourd’hui adossé à aucun opérateur téléphonique de taille mondiale
qui pourrait la faire profiter de synergie, de savoir-faire et
d’économies d’échelle pour ses équipements d’infrastructures à venir ou
encore pour ses achats de terminaux subventionnés, nerf de la guerre
commerciale sur le marché des particuliers. A cette remarque, les
nouveaux acquéreurs rétorquent qu’avec 10 ans d’existence, Méditel n’a
pas besoin de l’appui d’un acteur mondial du secteur, puisque étant
suffisamment mûre. Un point de vue discutable.
Les nouveaux actionnaires majoritaires auront donc fort à faire pour
transformer les 12,5 milliards de DH, que leur auront coûté jusqu’à
présent leurs participations (entre apports initiaux en capital et
récente acquisition), en investissement rentable malgré l’effet temps
qui érode le TRI (Taux de rendement interne). Ce qui est loin de
relever d’un parcours de santé car avec un endettement encore
important, des investissements non encore stabilisés notamment dans
l’optique de combler le retard dans le fixe et le segment des
entreprises et des positions concurrentielles battues en brèche, les
actionnaires risquent de rester encore privés de dividendes après 10
ans de disette.
Quid du partenariat avec Wana et du contrôle du CIH ?
Enfin, en se renforçant à coup de 4,5 milliards de DH dans le capital
de Méditel, la CDG sera-t-elle amenée à revoir certains partenariats
stratégiques ou encourager de nouveaux entre sa nouvelle filiale et
d’autres structures de son portefeuille. En effet, le groupe dirigé par
Anas Alami est un partenaire stratégique de Wana notamment dans
l’exploitation de boucles locales au sein des sites industriels et
technologiques développés par la filiale Med Z. En outre, Méditel qui
est en train de fourbir, à l’instar de ses deux concurrents, une offre
de mobile banking sera-t-elle amenée à élargir son partenariat bancaire
au CIH, affilié à 67% à sa nouvelle maison mère, quid alors de la BMCE ?
Au final, avec un opérateur qui a grandement besoin d’une nouvelle
stratégie pour croître plus rapidement, ce qui nécessite une expertise
qu’ils n’ont forcément pas et pourrait impliquer des investissement
colossaux ; avec les possibles conflits d’intérêts que pourraient
causer les partenariats qu’ont les deux acquéreurs, à travers leurs
filiales, BMCE Bank et CDG pourront-ils trouver les formules miracle ?
Ont-ils les moyens financiers et les compétences humaines pour cela ?
Le mieux ne serait-il pas qu’ils vendent, avec une plus-value, une
partie de leurs participations à l’un de ces prétendants internationaux
qui ont perdu la première manche ? Eux-mêmes n’ont pas explicitement
écarté ce scénario d’adossement. Affaire à suivre.Source: La vie éco