Casablanca Financial City Un coup à jouer!
L’annonce de la nomination de Saïd Ibrahimi, directeur général de la Société d’aménagement de la future place financière de Casablanca est bien plus qu’un «coup de pub», comme l’avaient perçu certains pays voisins. La Société de gestion, créée en consortium avec 6 structures marocaines, aura dans un premier temps deux missions fondamentales. La première consiste en l’aménagement d’infrastructures physiques et technologiques, tout en veillant à donner une vision harmonieuse à cette nouvelle ville, qui sera construite en lieu et place de l’ancien aéroport Casablanca-Anfa. La seconde sera de penser à un cadre réglementaire et un positionnement stratégique de la place financière casablancaise. Si la première mission semble aisée, car les promoteurs marocains ont acquis une expertise indéniable en termes d’aménagement d’infrastructures grandioses (TangerMed, Vallée de Bouregreg…), la deuxième mission est, elle, plus délicate. Comment, en effet, positionner Casablanca en tant que place financière internationale de référence, face aux grandes places européennes déjà établies, pour certaines, depuis plus d’un siècle? Ou d’autres, comme celles du Moyen Orient, fraîchement créées à l’image de Dubaï ou Abou Dhabi qui ont bénéficié d’un double avantage: leur proximité avec les fortunes arabes et une conjoncture internationale favorable. Saïd Ibrahimi, directeur de la nouvelle structure, confie à E/E qu’il ne dispose pas «d’éléments concrets à communiquer». C’est dire l’état embryonnaire dans lequel se trouve ce projet! D’ailleurs, aucun «officiel» contacté n’a souhaité se prononcer, préférant rejeter la balle sur Ibrahimi. Alors, secret bien gardé accompagnant «une phase de construction» ou tout simplement absence de visibilité? La question se pose, d’autant plus que, selon nos sources, un benchmark a été lancé, il y a deux ans, par Bank Al-Maghrib. Ce qui est sûr, c’est que le sujet est sensible, car il implique un chamboulement du cadre financier marocain, avec une probable refonte de son cadre réglementaire. Des atouts certains Et certains acteurs marocains attendent cette annonce depuis longtemps! En 2007 déjà, l’expérience de Medicapital, filiale londonnienne de BMCE Bank, avait défrayé la chronique en s’installant à la City, afin de faire la jonction entre l’Europe et l’Afrique, tout en contournant la législation marocaine qui interdit de traiter les produits financiers sophistiqués. Cette expatriation deviendra inutile lorsque les conditions d’internationaliation de la place financière de Casablanca seront réunies. Et les atouts ne manquent pas à la métropôle pour jouer un rôle régional de premier plan dans la finance. Sur le papier, la capitale économique semble, en effet, bien placée. Au-delà du fait que le Maroc soit physiquement à la convergence de 4 continents, c’est aussi: un hub aérien pour l’Afrique, grâce au rôle de catalyseur joué par la Royal Air Maroc; des ressources humaines disponibles et formés «aux standards professionnels» dont certains ont fait leurs preuves dans les plus prestigieuses salles de marchés du monde; des fonds d’investissements de plus en plus dynamiques et diversifiés; une stratégie agressive de levée de fonds à l’international pour financer les plans stratégiques de développement ou les grands projets d’infrastructures; des institutions financières solides supervisées par une Banque Centrale puissante, dont la crédibilité et la technicité sont reconnues au niveau international, ainsi que des institutions de régulation, qui commencent à prendre leurs marques. Une dynamique certaine, qui commence à porter ses fruits au niveau de l’implantation des cabinets d’ingénierie, juridiques ou de conseil en stratégie de stature mondiale. De plus, au niveau régional, les acteurs économiques et financiers nationaux ont, depuis longtemps, commencé à occuper le terrain. On pourrait citer les stratégies d’internationalisation des groupes marocains vers certains pays du Maghreb ou d’Afrique Subsaharienne (voir dossier E/E n°114) ; ou encore la stratégie d’expansion des banques marocaines en Afrique (voir E/E n°126). Ces groupes ont pu développer des réseaux d’intérêts économico-financiers suffisamment denses pour permettre à la ville blanche de prétendre au statut de place financière régionale. C’est d’ailleurs l’avis de la majorité des experts contactés. Pour Albert Alsina Gonsalez, directeur du fonds d’investissement Mediterrania dédié à l’Afrique du Nord, «au niveau du Maghreb, le Maroc est le mieux placé pour jouer le rôle de place financière». Même son de cloche du coté de William Fellows, directeur du Financial Services Volunteer Corps (FSVC), organisation américaine dédiée à l’accompagnement du secteur financier: «le Maroc a la capacité de jouer le rôle d’un petit Dubaï francophone». Toutefois, la comparaison avec l’émirat du Golfe s’arrête là. Car, le contexte international est différent de celui qui a vu cette place émerger et l’on ne parle pas, non plus, des mêmes dimensions de flux financiers. Pour un haut cadre bancaire qui a préféré garder l’anonymat, «au niveau mondial, les places off-shore n’ont plus la côte. On assiste à une montée mondiale de la régulation. De plus, le centre de gravité mondial de la finance se déplace vers l’Asie. Il sera difficile pour le Maroc de convaincre de grandes banques d’affaires de s’installer». Le mot est lâché! En effet, «la question majeure qui se pose est: comment attirer la liquidité?», explique William Fellows. Si pour Dubaï, la question ne s’est pas posée car elle est adossée à ses voisins du Golfe, en situation de surliquidité, pour le Maroc la problématique reste entière. Pour Patrick Larrivé, avocat d’affaires associé au cabinet UGCC, «le Maroc ne peut pas concurrencer les grandes places financières déjà établies. Il doit tirer profit de son positionnement géographique». Ce n’est donc pas tant les infrastructures physiques qui comptent mais bien la nature des produits traités dans la place, qui déterminera le succès du projet. En d’autres termes, le Maroc doit offrir à des investisseurs internationaux l’opportunité de traiter facilement des affaires sur des marchés ou des niches faisant l’objet de restrictions sur d’autres places, notamment par des législations internationales sur les paradis fiscaux qui commencent à se resserrer. Il s’agit donc de développer «un cadre spécifique respectant les standards internationaux mais offrant une attractivité fiscale et en termes de structuration des fonds», précise Larrivé. Dans un contexte de perte de crédibilité du système financier international, autant dire que la tâche s’annonce rude. Un positionnement délicat Il faut, de fait, trouver le juste milieu entre régulation des risques et garantie de rentabilité des fonds, tout en limitant les effets de contagion entre la place et le reste de l’économie, en cas de crise. Il faut aussi -et surtout- trouver un positionnement original, dans lequel le Maroc puisse avoir un avantage comparable aux autres places financières, tout en proposant un maillage institutionnel flexible et crédible à la fois. Pour Adil Douiri, cette place «permettra de développer des services financiers de haute valeur ajoutée visant l’Afrique du Nord et l’Afrique de l’Ouest, en profitant de la proximité de ces marchés». Avis à nuancer, pour notre source bancaire anonyme: «comme toute industrie, l’industrie financière doit suivre des étapes de croissance. On ne peut raisonnablement pas prétendre passer d’un marché financier embryonnaire à un marché de produits sophistiqués. Je pense qu’il s’agira, dans un premier temps, de regrouper les banques nationales dans cette place. Elle pourrait aussi servir à traiter en back-office des opérations bancaires fortement consommatrices de main d’œuvre, notamment pour des banques françaises. Mais, de là à prétendre attirer des banques internationales de premier plan, je ne pense pas que cela soit possible, dans le contexte actuel». Voilà qui a le mérite d’être clair! William Fellows, quant à lui, précise que «des entreprises en Afrique francophone, qui n’ont pas la capacité de prétendre à la place parisienne, peuvent venir à Casablanca. Dans cette place, pourront être traités des produits classiques pour lesquels les marocains détiennent le plus d’expérience». Hub régional donc, pour lequel le pays pourrait profiter de son emplacement stratégique et son réseau de relations étendu en Afrique. Et proposer des packages de solutions à bas coût, à partir du Maroc, dans le trade finance, l’export, le montage financier... vers des pays africains francophones. Mais, pour nombre d’observateurs, cette option ne peut être effective qu’avec une action parallèle pour renforcer une intégration régionale. C’est l’opinion que développe, entre autres, Hatim Ben Ahmed, directeur d’investissements à la banque d’affaires Riva y Gracia Maghreb: «le développement d’une place financière est souvent corollaire à la taille sous-jacente de son économie réelle. Une intégration des marchés maghrébins doit donc parallèlement accompagner de développement de la place de Casablanca pour atteindre une taille économique régionale». L’Accord de Libre-Echange (ALE), en négociation avec l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) et l’ensemble des ALE signés par le pays, pourrait aussi entrer dans ce schéma. In fine, le défi de Saïd Ibrahimi et de l’équipe, qui travaille sur le projet, est de trouver le savant dosage entre: capitaliser sur les acquis du Maroc en termes de développement de sa finance, tout en adaptant son cadre réglementaire à la mesure de l’ambition affichée et bien sûr identifier la «value proposition» de la place, comme disent les financiers anglo-saxons. Mais, ce qui fait l’unanimité de tous les experts étrangers sondés, c’est que le Maroc a une carte à jouer. |