Affaire GSI : de nombreuses questions sans réponseLe Crédit Agricole avait signalé au CDVM une dette de 12 MDH non honorée, qui n'a pas arrêté l'opération.
Le commissaire aux comptes n'a réagi que 22 jours après le visa pour soutenir que les documents présentés avaient été falsifiés.
Accusations mutuelles de tentative de corruption et tentative d'extorsion de fonds.
Trois mois après l'annulation surprise de l'introduction en Bourse de la société GSI, le mystère sur l'affaire reste entier.
Si l'on a su dès le début que c'est le Crédit Agricole qui a réagi à l'entrée en Bourse de la société d'informatique en signalant une dette non honorée de 12 MDH, on n'arrive toujours pas à comprendre comment la fragilité de la société et son endettement ont pu échapper à la vigilance des autorités du marché qui ont, rappelons-le, délivré leur visa. De fait, personne aujourd'hui, pas même le Conseil déontologique des valeurs mobilières (CDVM), ne sait exactement ce qui s'est passé.
Pour tenter de comprendre les dessous de l'affaire et reconstituer les faits, La Vie éco a pris contact avec toutes les parties concernées.
Au centre de cet imbroglio, le premier du genre dans l'histoire de la Bourse de Casablanca, on retrouve deux personnes clés, le patron de la société GSI, Khalid Ibrahimi, et son commissaire aux comptes, Abdelhaq Kharbouch, auxquelles il faut ajouter le conseiller financier Red River et le CDVM.
Rappel des faits. Alors que l'ouverture des souscriptions était programmée au 21 novembre 2007, le CDVM annonçait le jour même la suspension de l'opération par un communiqué où le conseil évoquait «des éléments apparus ultérieurement», qui auraient faussé le jugement des souscripteurs.
Dans les jours qui suivent l'annonce-scandale, le commissaire aux comptes, Abdelhaq Kharbouch, sera le premier et principal acteur puisque c'est lui qui, ce 20 novembre, s'est déplacé au CDVM pour remettre en cause l'authenticité des documents fournis par GSI au conseil. Allant plus loin, M. Kharbouch a poursuivi le patron de la société GSI, fin janvier, pour faux et usage de faux.
Le CDVM a-t-il fait preuve de négligence ?Joint au téléphone par La Vie éco, M. Kharbouch confirme. «La signature qui figure sur les documents qui ont été remis au CDVM n'est pas la mienne». Par documents, le commissaire aux comptes entend, évidemment, les rapports et les comptes certifiés. Coup de théâtre, une lettre est remise au CDVM le 21 novembre, soit le lendemain de l'annulation de l'opération. Elle porte la signature du commissaire aux comptes dûment légalisée et atteste que les rapports et attestations remis au conseil sont authentiques, qu'ils sont bien signés par M. Kharbouch et «peuvent être considérés comme valables».
Le document jette alors le trouble chez les responsables du CDVM. Comment le même commissaire aux comptes peut-il, en l'espace de 24 heures, dire une chose et son contraire ? M. Kharbouch est clair, il affirme que la lettre du 21 novembre n'est pas de lui et qu'elle aussi a été falsifiée. Pour lui, un indice suffit : «Pourquoi vais-je faire légaliser ma signature à l'arrondissement de Aïn Chock alors que mes locaux sont au quartier Belvédère ?».
Khalid Ibrahimi, le patron de GSI, pour sa part, soutient mordicus que la lettre lui a été délivrée par le commissaire aux comptes lui-même le 20 novembre, jour de l'annulation de l'opération, et qu'elle a été légalisée le lendemain, 21 novembre, et envoyée le jour même au CDVM. Et tout comme pour cette lettre, M. Ibrahimi nie en bloc les accusations de falsification de rapports et autres documents.
Où est la vérité ? Une question à laquelle aujourd'hui la justice doit répondre. La tâche du juge ne sera pas facile d'autant plus que, dans cette affaire qui a fait couler beaucoup d'encre, il y a encore de nombreuses zones d'ombre et de questions qui n'ont pas été posées.
Le plus plausible est que les deux parties détiennent des informations qu'elles n'ont pas divulguées
Retour aux faits. Le visa du CDVM a été délivré le 29 octobre. Première question : pourquoi le commissaire aux comptes a-t-il attendu le 20 novembre, soit 22 jours après, pour se manifester alors que la note d'information était disponible et les rapports avec ? Pire, le commissaire aux comptes a entretemps rencontré les responsables du CDVM, précisément le 16 novembre, et non seulement il n'a rien dit mais, en plus, il a confirmé aux mêmes responsables que le dossier de son client était complet et recevable.
M. Kharbouch apporte sa version. «Quand le visa a été délivré, j'ai effectivement approché le CDVM pour connaître les documents qui leur avaient été remis. J'ai eu des doutes et j'ai rencontré les responsables et même le conseiller financier, mais je n'ai rien voulu dire pour éviter le scandale». Cependant, ce n'est que le 20 novembre que M. Kharbouch se présente au CDVM, à Rabat, pour remettre une lettre où il atteste que le rapport pour la certification des comptes de 2006 n'émane pas de son cabinet et que la signature n'est pas la sienne.
Son but : «Protéger le petit épargnant», dit-il. Pour le commissaire aux comptes, le rapport, le vrai, concernant l'exercice 2006, comportait des réserves que son client lui aurait demandé de lever, ce qu'il aurait refusé de faire. D'où la falsification.L'autre zone d'ombre dans cette affaire concerne l'attitude du CDVM lui-même. Car, le vendredi 16 novembre, à quatre jours de l'ouverture des souscriptions, le Crédit Agricole a pris contact avec le CDVM pour faire état d'une dette de 12 MDH non honorée par la société GSI et qui, mystérieusement, ne figurait nulle part dans les comptes remis au conseil. N'était-ce pas là un premier indice qui aurait dû mettre la puce à l'oreille du gendarme de la Bourse quant à la fiabilité des informations qu'on lui avait fournies ?
L'affaire est devant la justice et une commission d'enquête de l'ordre des experts comptables
Autre question. S'agit-il de rapports falsifiés ou «seulement» d'un travail mal fait ? «C'est trop gros et ce serait suicidaire de ma part», se défend le patron de GSI, Khalid Ibrahimi. Ce dernier reconnaît, entre autres, que le commissaire aux comptes avait émis des réserves mais affirme que ces réserves ont été levées à l'exception de deux qui ne remettaient pas en cause l'opération. «Je ne serais jamais allé en Bourse si le commissaire aux comptes ne m'avait pas délivré un rapport de certification des comptes conforme, je ne peux détruire une entreprise dans laquelle j'ai mis toute mon énergie et ma vie».
Mais alors, s'il n'y a pas de falsification, et c'est là une autre question centrale de l'affaire, et si les documents ont bien été signés par le commissaire aux comptes, comment expliquer l'attitude de ce dernier ? La réponse la plus plausible, pour l'heure, c'est que, comme le soupçonnent des observateurs,
les deux hommes détiennent des informations et des éléments qu'ils n'ont pas divulgués. Et s'il s'agissait d'une histoire de gros sous ? Nous avons posé la question aux deux protagonistes et là, surprise, les accusations mutuelles pleuvent. Selon le commissaire aux comptes, le patron de GSI lui aurait fait une offre financière en contrepartie d'un embellissement des comptes de la société, ce qu'il aurait refusé. Selon le patron de GSI,
le commissaire aux comptes lui aurait demandé plus d'argent qu'initialement convenu en récompense de l'aide fournie pour obtenir le visa du CDVM, une demande à laquelle il aurait opposé une fin de non-recevoir. La Vie éco, qui a recueilli les confidences de MM Ibrahimi et Kharbouch, ne se prononce pas, ni ne prend position sur ce volet qui relève d'une investigation judiciaire.
Pour l'heure, l'affaire est entre les mains de la justice et d'une commission d'enquête de l'ordre des experts comptables - normalement constituée dans toute affaire mettant en cause l'un de ses membres. Il leur appartiendra de démêler l'écheveau. Le mystère reste entier trois mois après les faits et le restera sans doute pour quelques mois encore.
Saâd Benmansour
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